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Le voyage en Provence

d’Ernest et Hadley Hemingway

 

Après avoir célébré dans notre précédent numéro le centième anniversaire de l’écriture de Gatsby le Magnifique à Saint-Raphaël, nous souhaitons ce mois-ci vous entraîner sur les pas d’Ernest et Hadley, lesquels, en cette même année 1924, s’offrent avec leurs modestes moyens un voyage en Provence. Le séjour comprend les villes d’Avignon, Saint-Rémy-de-Provence, les Baux-de-Provence, Arles, Nîmes et leur riche patrimoine architectural, ainsi que le Pont du Gard. Deux passions animent l’écrivain en devenir qu’est alors Hemingway : les paysages de Van Gogh et déjà la tauromachie.

Sommaire

Ernest et Hadley 

Avignon

Les Alpilles  

Arles

Nîmes

Le Pont du Gard

Et aussi en Camargue

A découvrir également 


Hôtellerie et  restaurants de charmes dans les carnets de route d'Hemingway

 Le Jardin d'Eden, ce roman qui nous met dans les pas de les pas de l'écrivain

Ernest et Hadley


Le couple est marié depuis 1921. Ils sont les parents de John Hadley Nicanor, surnommé Bumby, né en octobre 1923. Ses marraines ne sont autres que Gertrude Stein et Alice Toklas. Hemingway aura vingt-cinq ans le 21 juillet 1924. Hadley a quelques années de plus. La famille habite Paris, au numéro 113 rue Notre-Dame des-Champs, au-dessus d’une scierie. Cette pose provençale est une parenthèse heureuse pour le couple qui a passé un hiver difficile : Hadley malade et souffrant d’insomnies, le bébé qui hurle, Ernest tentant d’écrire dans les cafés du quartier… La production littéraire est cependant satisfaisante. Le recueil On our time (De nos jours) a été publié à cent soixante-dix exemplaires en janvier, les cinq histoires sur l’enfance dans le Michigan sont bouclées, comme la nouvelle Un chat sous la pluie. L’écrivain s’attelle déjà à l’élaboration de La grande rivière au cœur double. Après avoir affirmé :

 « Ce qu’il faut c’est écrire une seule phrase

vraie », Ernest prend conscience que « la

seule écriture valable, c’est celle qu’on

imagine ». 

Hem’ s’est laissé pousser la moustache. La mèche est encore rebelle, l’habit modeste. Pour ce voyage de six jours en train, le couple consacre un budget de 250 francs (environ 210 euros). « Ce qui n’est pas si mal par les temps qui courent », estime-t-il.

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Ernest et Hadley - JFK Presidential Library and Museum - Ernest Hemingway collection

Avignon, grandiose cité papale


Le couple est charmé par les ruelles étroites et impressionné par le monumental palais des Papes, où  résonne, l’heure venue, l’angélus. Bâti au XIVe siècle, au pied du rocher des Doms, il est principalement l’œuvre des souverains pontifes Benoit XII et Clément VI. En bas, le pont Saint-Bénézet ne permet plus de traverser le Rhône tumultueux depuis le XVIIe siècle. La ville est une véritable fourmilière, avec ses nombreux commerces et ses artisans, ses charrettes et son tramway. Sous ses platanes protecteurs, la place de l'Horloge vit de ses brasseries et de ses cafés.Le long des remparts, s’appuient des maisons épuisées, des garages automobiles, des platanes séculaires. En 1926, l’auteur met en scène la gare ferroviaire dans la nouvelle Un canari voyage, écrite en 1926. Le thème évoque sa rupture avec Hadley cette année-là.


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Les Alpilles

Saint-Rémy-de-Provence, paysage de Van Gogh

La première visite d’Ernest au pays de Vincent Van Gogh est agrémentée de champs d’oliviers, de vignes et de blé, de cyprès, avec pour décor les roches minérales des Alpilles. L’apprenti romancier est littéralement conquis par les paysages, comme son épouse Hadley. À Saint-Rémy, les platanes couvrent déjà le cours Mirabeau. La petite bourgade vit au rythme de ses six mille habitants et recèle un extraordinaire patrimoine architectural médiéval, Renaissance, baroque et Ancien Empire.

Le monastère Saint-Paul-de-Mausole

À proximité de Glanum se situe le monastère Saint-Paul-de-Mausole, chef-d’œuvre de l’art roman provençal. C’est à l’asile d’aliénés que Vincent Van Gogh est admis, à sa demande, en mai 1889, après le séjour arlésien. Il écrit :

 « Depuis que je suis ici, le jardin

désolé, planté de grands pins sous

lesquels croit haute et mal entretenue,

une herbe entremêlée d’ivraies

diverses, m’a suffi pour travailler et

je ne suis pas encore sorti dehors.

Cependant le paysage de Saint-Rémy

est très beau et peu à peu je vais y

faire des étapes probablement ».

 Faute de ne pouvoir sortir, le peintre saisit depuis sa fenêtre barrée de fer, le motif au-dehors : fleurs d’iris violets, buisson de lilas, papillon de nuit, champ de blé, mur de clôture, cabanes et collines… La lumière et les paysages créent une impression profonde sur le peintre. Celui-ci compose quelque deux cents toiles durant son séjour d’un an dans ce coin de Provence au ciel étoilé et aux cigales chantant « encore du vieux grec ». Un ressenti partagé par le jeune écrivain qui vient mettre ses pas dans celui du peintre.

Glanum

A proximité, le mausolée des Jules et l’arc de triomphe sont encore les seuls vestiges visibles de la cité antique de Glanum, dont le site a été mis au jour en 1921.

Les Baux-de-Provence, un bâti Renaissance d’exception

Ernest et Hadley poursuivent leur visite jusqu’aux Baux-de-Provence, au cœur des Alpilles. Perché sur son éperon rocheux (baou en provençal), le village domine l’immense plaine de La Crau. La citadelle propose un bâti Renaissance d’exception, introduit par Anne de Montmorency, intime des rois François 1er et Henri II, et témoigne d’un passé tumultueux jusqu’aux guerres de Religion. Démantelée en 1632, la forteresse est ensuite offerte par Louis XIII à Hercule Grimaldi, marquis des Baux, prince héréditaire de Monaco.

 Le val d’Enfer

En contrebas, des gorges tourmentées, étranges, des rochers déchiquetés creusés par l’érosion, portent le nom de val d’Enfer. Un lieu chargé de légendes et de mystères, où certains auraient eu, à la nuit tombée, la vision de L’Enfer de Dante. En cette fin du mois d’avril, la plaine se couvre joliment des fleurs de l’amandier et de l’abricotier. La vigne et l’olivier y prospèrent avec abondance, attestant d’une activité agricole millénaire. Dans une lettre à son ami Ezra Pound, le jeune homme de vingt-cinq ans écrit :

 « Je suis allé en Provence et ai

découvert que ce n’était pas un coin

pour écrivain. Mais ce que je voudrais

savoir peindre ! Bon Dieu, quel cyprès !

Là-bas, ils font toujours avec le cyprès

ce que l’Italie fait parfois ».

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Et pour en savoir plus :

Le monastère Saint Paul de Mausole

Le Site archéologique de Glanum

Le Musée des Alpilles

Le Château des Baux de Provence


Glanum Mausolée Arc de Triomphe

Arles, visite au "bordel" de Van Gogh

La première visite d’Hemingway dans la cité antique est en forme de pèlerinage sur les lieux fréquentés par Vincent Van Gogh, au cours des années 1888 et 1889. Le quartier de la Cavalerie recèle en cela ce que cherche l’écrivain. Les maisons étroites et les cafetons respirent encore l’époque où le peintre arpentait les ruelles de cette partie de la ville, réservée aux maisons closes et à ses « femmes interlopes », entre le couvent des Carmélites et la chapelle Saint-Isidore. Là où Van Gogh emménage lorsqu’il débarque ici la première fois, au 30 rue de la Cavalerie, pension Carrel. 

Hemingway pense-t-il alors au tableau « Le Lupanar » et à la rue du Bout d’Arles lorsqu’il écrit au poète Ezra Pound s’être rendu « au bordel » de Van Gogh ? Le vieux charme se dégage certainement encore devant la façade de la « Maison Jaune », place Lamartine, ou à « La terrasse du café le soir », place du Forum, et sous « La nuit étoilée », le long des quais du Rhône capricieux. 

 L’Hôtel-Dieu

L’austère portail de l’Hôtel-Dieu lui laisse-t-il entrevoir le jardin et sa fontaine ? Un bref détour par les Alyscamps, haut lieu de la chrétienté médiévale, où Van Gogh et Paul Gauguin plantèrent ensemble leurs chevalets.

 L’amphithéâtre, Saint-Trophime…

Sur la colline de l’Hauture, plus vieux quartier de la cité, l’écrivain s’imprègne de romanité avec l’amphithéâtre, ce temple du jeu où s’affrontaient les gladiateurs, où l’on célébrait les victoires, où étaient donnés de grands spectacles pour vingt-cinq mille spectateurs. Jeune aficionado, Hemingway pense certainement aux corridas organisées dans l’enceinte des arènes depuis les années 1830, participant à la renommée du site en tant que plaza de toro. Pourtant, Ernest ne verra jamais aucun taureau combattre ici. Antérieur aux arènes et construit à la fin du premier siècle avant Jésus-Christ, le théâtre antique et ses vestiges évoquent les comédies, pantomimes et tragédies données pour la colonie romaine.

 Des rues envoûtantes au riche patrimoine architectural

Au détour des rues s’entremêlent bâtisses médiévales et Renaissance, avec à leur coin des niches abritant encore quelques saints protecteurs. Représentant de l’art roman en Provence, le portail sculpté de l’église Saint-Trophime parle au couple de la grandeur du Christ, d’anges soufflant dans les trompettes annonciatrices de l’Apocalypse, de damnés précipités dans les flammes de l’Enfer, d’apôtres foulant de leurs pieds des fauves et des monstres déchirant des hommes et des animaux, symboles de forces maléfiques. Sur la place du Forum, regarde-t-il perplexe la figure magistrale de Frédéric Mistral, initiateur du félibrige et prix Nobel de littérature en 1904 pour son œuvre Miréio(Mireille). Situé sur la place, le Nord‑Pinus n’est pas encore son hôtel de prédilection, faute de moyens. Ce lieu chargé d’histoire depuis 1865, fréquenté par les artistes et les toreros, le deviendra à l’avenir.

 Une légende ?

Plus tard, l’écrivain se plaira à raconter l’histoire selon laquelle, ils auraient participé avec Hadley à une fête gitane en se frottant le visage à la brou de noix. L’anecdote précise que le couple n’aura ni bu le vin promis, ni pu se défaire de la teinte persistante avant plusieurs jours.

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Et pour en savoir plus :

La fondation Van Gogh à Arles

Le musée d'Arles antique


Nîmes, un premier combat dans les arènes.


Le voyage en Provence d’Ernest et Hadley comprend une corrida dans les arènes de Nîmes. L’intérêt d’Hemingway pour la tauromachie a été éveillé par la poétesse Gertrude Stein, rencontrée à Paris en mars 1922. L’aficionada partage avec le jeune auteur son admiration pour le toréro Joselito. Mais c’est Maera qu’Ernest et Hadley voient combattre dans les arènes de Nîmes le 28 avril 1924. Il semble que le toréro ait été « mauvais » et qu’il se soit « mis le public à dos en faisant le pitre ».


La légèreté de ce remarquable capeador, cet exceptionnel muletero, est peut-être à mettre au compte de la maladie qui le dévore. Atteint de tuberculose, il se sait condamner. Il meurt quelques mois plus tard, à vingt-huit ans. La fascination de l’écrivain pour Maera se retrouve également dans le recueil De nos jours. Deux nouvelles, sur les cinq abordant la tauromachie, sont consacrées au toréro. Sur l’œuvre, le critique littéraire Edmund Wilson écrit :


« Ses esquisses de corrida ont l’acuité

sèche et élégante des lithographies de

Goya sur le même thème. »


Les arènes

À Nîmes, le couple Hemingway goûte à l’architecture de l’amphithéâtre datant du premier siècle de notre ère. Sa façade extérieure est saisissante, avec ses deux niveaux d’arcades. Dans l’Antiquité, depuis les gradins, quelque vingt mille personnes pouvaient assister aux spectacles donnés dans l’arène. Mais la première course de taureaux n’y est organisée qu’en 1853.


La Maison Carrée

Lignes pures, proportions admirables, la Maison Carrée fait également l’admiration de l’écrivain. Intégré au Forum, cœur économique et administratif de la cité antique, l’édifice est inspiré par les temples d’Apollon et de Mars Ultor à Rome. Il fut réalisé sous le règne d’Auguste en l’honneur de Caius César et de Lucius César. Le site a été tour à tour maison consulaire, écurie, appartement, église, préfecture…


Les Jardins de la Fontaine

Ils proposent une promenade rafraichissante sous les platanes, avec son bassin et son canal alimentés par la source nîmoise originelle, où le culte au dieu Nemausus était célébré. L’aménagement du site en jardin, en 1745, s’organise autour même de celle-ci. Les ruines du Temple de Diane témoignent d’un vaste ensemble comprenant également des thermes et un théâtre. Du haut du mont Cavalier, la Tour Magne s’élève encore au-dessus du site. Elle signalait du haut de ses dix-huit mètres la présence du sanctuaire impérial et protégeait l’oppidum. Les abords bourgeois du canal ne comptent pas encore l’Hôtel Imperator, si cher à l’écrivain.


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Pour en savoir plus :

La maison carrée de Nîmes

La tour Magne
Le Musée de la romanité
Les Arènes de Nîmes

Le Pont du Gard, un ouvrage transmis par Rome

Au gré de ses voyages en Provence en 1924, 1949 et 1954, Hemingway vient contempler ce chef-d’œuvre de l’ingénierie romaine, enjambant le Gardon. Ernest est à chaque fois « impressionné par cet ouvrage extraordinaire que Rome nous a laissé » au cœur de la garrigue. Cinquante mille quatre cents tonnes d’une pierre extraite de la carrière de Vers, toute proche. Haut de cinquante mètres, ce pont a trois niveaux, dont le plus long mesure deux cent soixante-quinze mètres, est construit peu avant l’ère chrétienne. Il permet alors la continuité de l’aqueduc romain, long de quelque cinquante kilomètres, conduisant l’eau d’Uzès à Nîmes. Il est le plus haut pont-aqueduc connu du monde romain.

Abîmé au fil des siècles, inutilisable depuis le neuvième siècle, il bénéficie de travaux de restauration à partir du seizième siècle. Le pont routier lui est adjoint au milieu du dix-huitième siècle. En 1840, il est le premier bâtiment classé « Monument Majeur » par Prosper Mérimée, et premier bâtiment entré au registre des « Monuments Historiques » en 1913. Hemingway l’a-t-il traversé du haut de son troisième niveau pour mieux apprécier son vertigineux panorama ?

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Pour en savoir plus : Le Site du Pont du Gard

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Aussi, en Camargue

Mariés depuis le 10 mai 1927, Hemingway et Pauline Pfeiffer choisissent Le Grau-du-Roi pour leur lune de miel. Le petit port, à la forte activité de pêche, est accueillant et plein de vie. 

Le Grand Hôtel Pommier

L’établissement est déserté en dehors de la pleine saison. Sa modeste façade se dresse sur la rive droite, en bordure du chenal séculaire qui rejoint la mer. Au loin, le phare de l’Espiguette. La chambre du couple ressemble à celle peinte par Van Gogh, à Arles. Elle possède cependant un lit double et deux grandes fenêtres, d’où le panorama sur Palavas et sa plage est étincelant. Deux tables de billard traînent au rez-de-chaussée et les petits-déjeuners sont composés de café au lait, de brioches, d’œufs à la coque ou frits, de confiture de framboise.

Des plaisirs simples occupent les jeunes mariés, à l’exemple des promenades à bicyclettes le long du canal, et des bains de mer dans l’eau bleue, froide et limpide. La plage est infiniment longue, et au matin, le sable reste frais sous les pieds. Déjà brunis par le soleil, les corps s’y prélassent.

La pêche, ou son spectacle, fait partie des occupations d’Ernest et Pauline qui aident parfois les pêcheurs à remonter les filets sur la plage. Plus loin, sur les bancs de sable, les tellinaïres procèdent à leur récolte.

 « C’est un bel endroit en dessous

d’Aigues-Mortes en Camargue et sur la

Méditerranée, avec une longue plage et

un bon port de pêche. »

Ernest Hemingway, 27 mai 1927.

 À l’heure de l’apéritif, les terrasses des cafés servent du vin, du Vermouth, du brandy, de la fine à l’eau et des voiles sur la mer. Aux repas, le couple savoure de succulents loups de mer grillés accompagnés de pommes de terre frites, le tout arrosé d’un petit vin blanc léger, sec et gai. Parfois, de steaks purée garnis de flageolets et de salade, servis avec du Tavel bien frais : « Un vin formidable pour ceux qui s’aiment », écrit Hemingway dans Le Jardin d’Eden.

Ernest et Pauline

Journaliste de Vogue à Paris, Pauline Pfeiffer a fait la connaissance du couple Hemingway au printemps 1925. Hadley et Pauline se lient. Ernest tombe rapidement amoureux de la jeune femme indépendante, riche héritière de trente ans. Ses cheveux courts encadrent un visage « à vous briser le cœur ». Ses yeux sont rieurs. Elle-même succombe au magnétisme ravageur de l’auteur : « Je vais m’accrocher à lui comme de la mousse, du lierre », confie-t-elle. La relation s’éclot au printemps 1926. « J’aurai dû prendre le premier train en partance pour l’Autriche, mais la fille dont j’étais tombé amoureux se trouvait alors à Paris et je ne pris ni le premier train, ni le deuxième, ni le troisième », écrira Hemingway. Hadley, qui a foi en Ernest mais qui n’a pas saisi toute sa complexité, s’efface. L’écrivain est alors sur le point de terminer Le soleil se lève aussi. Ernest et Hadley se séparent à l’automne suivant. Le divorce est prononcé en mars 1927. Hemingway et Pauline se marie à Paris le 10 mai en l’église Saint-Honoré d’Eylau. Ernest n’a pas encore vingt-huit ans, Pauline trente-deux. À Paris, le couple loge au 6 rue Férou, proche du jardin du Luxembourg. Ils auront deux garçons, Patrick et Grégory. Quelques jours après la cérémonie, le couple file en Camargue.

L’écriture au Grau-du-Roi

Entre balades, baignades et vie amoureuse, Hemingway n’en oublie pas l’écriture. Au Grand Hôtel Pommier, il achève la nouvelle Dix Indiens. Profondément marqué par sa rupture d’avec Hadley, la tristesse du héros est peut-être la sienne : « Au matin, le vent soufflait fort, les vagues déferlaient de très haut sur la plage, et il resta longtemps éveillé avant de se rappeler qu’il avait le cœur brisé ». Entièrement écrite au Grau-du-Roi, la nouvelle Collines comme des éléphants blancs, fait apparaître une fois encore le thème de la rupture. Le texte vient compléter le recueil Hommes sans femmes qui sera publié en octobre 1927. Lorsqu’en 1946, Hemingway entame la rédaction du roman Le Jardin d’Éden, c’est au Grau-du-Roi qu’il situe la lune de miel de ses personnages, David et Catherine Bourne.

L’hôtel Bellevue et d’Angleterre

Décembre 1949. Autre époque. Autre saison. Le petit village de pêcheur porte désormais les blessures de l’occupation allemande. Divorcé de Pauline en 1940, puis de Martha Gellhorn en 1945, Ernest voyage en compagnie de Mary, sa quatrième épouse. Le couple choisit alors l’Hôtel Bellevue et d’Angleterre, sur les quais. « J’ai toujours aimé ce coin » dira l’écrivain. En septembre 1959, dernière et brève visite au Grau-du-Roi. Hemingway, sur les traces des protagonistes du roman en cours, Le Jardin d’Éden. Un émouvant adieu d’Ernest à la Camargue et aux souvenirs heureux.

Visites à Aigues-Mortes

Le canal relie le Grau-du-Roi à Aigues-Mortes depuis 1725. Ernest et Pauline empruntent souvent la petite route blanche le longeant et menant aux fortifications. La cité aux vingt tours s’élève ici depuis le dix-huitième siècle, née de la volonté de Louis IX et de l’ordre des Templiers. Le site raconte les croisades menées par Saint-Louis en Terre Sainte. Première construction réalisée par le roi à Aigues-Mortes, la Tour de Constance culmine à trente-trois mètres et domine la plaine de Camargue. La cité est un chef-d’œuvre d’architecture militaire médiéval goûté par l’écrivain :

 « Aigues-Mortes est une sacrée ville.

La seule ancienne ville fortifiée qui

soit restée intacte sans avoir jamais

été restaurée. On n’a jamais permis à

Viollet-le-Duc d’y toucher. »

Lorsque celui-ci revient en 1949 avec Mary, il gravit une fois encore l’édifice, plus grande prison protestante du royaume, sous l’Ancien Régime. Une photographie le représente au sommet de la tour, sourire aux lèvres dans le soleil hivernal. Sa main est posée amicalement sur l’épaule de Jigee, l’épouse du scénariste Peter Viertel qui se tient juste derrière, au centre. Jigee détourne le regard de l’objectif. À ses côtés, Mary a le visage rieur. L’instant est immortalisé par l’ami Hotchner.

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Et pour en savoir plus :

La tour de Constance à Aigues Mortes

Le Musée de la Camargue

Une hôtellerie et une restauration de charme Retour au sommaire

 Avignon, mais aussi Arles, Nîmes s’inscrivent en 1949, 1954 et 1959 sur les carnets de route d’Hemingway. « Papa » est au fait de sa gloire littéraire. Il se déplace désormais en Packard ou en Lancia avec chauffeur. Mais le plaisir et les émotions éprouvées restent inchangés. Contrairement au voyage de 1924, l’écrivain descend désormais dans les meilleurs hôtels de la région. 

L’hôtel d’Europe, à Avignon

Avec Pauline ou Mary, ses épouses suivantes, Hemingway sera client de l’établissement, ancien hôtel particulier de la fin du seizième siècle, alors propriété de la famille de Graveson. Son activité d’hôtellerie sur la place Crillon remonte à 1799. Des hôtes illustres y ont fait halte : Bonaparte, Victor Hugo et Juliette Drouet, Jean Cocteau, Pablo Picasso, ou encore Scott et Zelda Fitzgerald en 1924…

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Hotel d'Europe Avignon              Hôtel d'Europe Avignon 


L’hôtel Nord-Pinus, à Arles

L’ancien relais de diligence du dix-septième siècle s’est mué en un lieu de villégiature notoire, rendez-vous de la bohème chic et artistique. C’est l’autre temple de la tauromachie, situé à une encablure de l’amphithéâtre, place du Forum. Ernest apprécie y faire escale. On peut y croiser Jean Cocteau, Luis Miguel Dominguín et Lucia Bosè, Pablo Picasso…

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Nord Pinus Arles      Hôtel Nord Pinus  Arles      Hôtel Nord Pinus Arles

L’hôtel Jules César, à Arles

L’établissement est fondé en 1928, dans ce qui fut autrefois le couvent des carmélites. Une bâtisse du douzième siècle, dont le fronton supporte le portrait gravé de l’illustre empereur romain, ainsi que l’inscription latine Sta viator (Reste voyageur). Une invitation à laquelle Hemingway a été sensible. Une pause salvatrice sous l’ombrage du boulevard des Lices. Dernière visite en 1959 à la cité tant aimée. Une fois encore l’amphithéâtre, apprécié de l’écrivain pour être l’un des plus grands et des plus vieux du monde romain. Hemingway goûte toujours autant le site, même s’il n’y a pour l’heure de corrida. Il est accompagné de Mary et de Valérie Danby-Smith, jeune journaliste d’origine irlandaise et future épouse de son fils Grégory. Le petit groupe arrive de Nîmes, où, dans les arènes, a toréé Antonio Ordoñez.

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Hôtel Jules César Arles            Hôtel Jules César Arles          Hôtel Jules César Arles


L’hôtel Imperator, à Nîmes

L’hôtel aux lignes art-déco a été construit en 1929 à l’initiative de la Compagnie des Wagons-Lits. C’est son port d’attache en Provence, comme l’est à Venise le Gritti Palace. L’établissement accueille rapidement les plus grandes personnalités. Pablo Picasso, mais aussi Jean Cocteau ou encore Ava Gardner comptent parmi sa clientèle. Hemingway y vient à plusieurs reprises, parfois accompagné des grands noms de la tauromachie, à l’exemple d’Antonio Ordóñez et Luis Miguel Dominguín. Les visites d’Hemingway y sont restées mémorables, comme les repas nocturnes interminables pris dans les jardins aux tilleuls et rosiers grimpants. Une cour d’aficionados plus ou moins célèbres l’entoure : Flo Malraux, la romancière Monique Lange, l’écrivain espagnol Juan Goytisolo… 

Des instants appréciés par-dessus tout. Hem’ parle littérature, d’architecture, évoque de nouveau sa passion pour la peinture et réaffirme qu’il aurait aimé écrire aussi bien que Van Gogh peignait. Le bar n’est à quelques pas. Un ascenseur en bois, avec portes à battant et grilles de fer forgé, monte aux chambres spacieuses et confortables. La vue sur les jardins de la Fontaine y est somptueuse et reposante. C’est son port d’attache en Provence, comme l’est à Venise le Gritti Palace. L’écrivain l’intègre à l’œuvre. Le Jardin d’Éden en fait mention à deux reprises. C’est encore à l’Imperator qu’Ernest poursuit en 1959 l’écriture du roman et le donne à lire pour la première fois à une jeune journaliste irlandaise, Valérie Danby-Smith, sa future belle-fille.

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Hôtel Impératif Nîmes      

Le Lisita, à Nîmes

Cette table de premier ordre, face à l’amphithéâtre, est goutée à plusieurs reprises par Hemingway. L’institution nîmoise siège depuis la fin du dix-neuvième siècle, d’abord sous l’appellation « Hôtel de Nice », puis Lisita, du nom de son propriétaire qui en fait une maison renommée à partir de 1929. Les déjeuners ou les dîners à sa terrasse sont des moments suspendus pour l’écrivain. 

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 Lisita Nîmes

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Le jardin d’Eden

Ce roman qui nous met dans les pas de l’écrivain

Commencé en 1946, publié en 1986, Le jardin d’Eden nous entraine, outre dans le triangle d’un invivable huis clos, sur les lieux fréquentés par l’écrivain dans les années vingt, quarante, cinquante, non sans une pointe de nostalgie. On y retrouve Avignon, Nîmes ou encore Aigues-Mortes et Le Grau du Roi, station où il passa son voyage de noces en 1927 avec Pauline, sa deuxième épouse. Que de charme dans les descriptions... 

Avignon est ainsi mise en scène : « Il y avait trois semaines qu’ils étaient mariés et étaient descendus en train de Paris à Avignon avec leurs bicyclettes, une valise contenant leurs vêtements de ville, et un sac à dos et une musette. À Avignon ils avaient pris un bon hôtel. 

A l’évocation de Nîmes, c’est l’hôtel Imperator, son port d’attache en Provence, qui s’impose : « Mais le mistral soufflait, aussi s’étaient-ils laissé pousser par le mistral jusqu’à Nîmes où ils avaient pris une chambre à l’Imperator. » Ou encore : « Couche à Nîmes la première nuit à moins que tu te mettes en route de bonne heure. Ils nous connaissent à l’Imperator ».

Le Grau du Roi ouvre le roman ainsi : « Ils séjournaient alors au Grau-du-Roi et l’hôtel se trouvait en bordure d’un canal qui, des remparts de la vieille ville d’Aigues-Mortes, filait droit jusqu’à la mer (…) C’était une ville gaie et accueillante et les deux jeunes gens se plaisaient à l’hôtel, qui avait quatre chambres à l’étage et au rez-de-chaussée face au canal et au phare… »

La cité fortifiée d’Aigues-Mortes n’est pas en reste : « Ils distinguaient les tours d’Aigues-Mortes au fond de la plaine rase de Camargue où, presque chaque jour, ils se promenaient à vélo sur la petite route blanche qui longeait le canal ».

 

Pour en lire plus : Le jardin d’Eden, Editions Gallimard.